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LA MAISON DANS LE PAYSAGE: EXTRAITS
LA MAISON DANS LE PAYSAGE: EXTRAITS

Avant-propos

Ce livre a couru les chemins de la montagne, les petites routes tortueuses où l’on craint de se perdre ou les longs rubans gris déroulés au fond des vallées. Nous avons sillonné le massif depuis le Sundgau, au nord, jusqu’au Bugey et la vallée de la Valserine, explorant le Haut-Jura sans oublier la Petite montagne, et le Haut-Doubs, où les pissenlits poussent drus et opulents. Là, les maisons s’épanouissent, vastes et carrées, dans une débauche de bois. Ils sont si fiers de leurs fermes à tué, les Doubistes, que non seulement, elles sont entretenues avec soin, mais il s’en construit de nouvelles, moins vastes certes mais sur la même architecture, accroupies dans une herbe d’un vert incroyable. Et se côtoient le bois blond des constructions neuves et les lambréchures presque noires des anciennes, rompues aux intempéries.

Question coloris, les Comtois s’entendent sur le bois et les ocres pâles des crépis, si ce n’est dans l’exotique Sundgau où les façades à colombages éclatent en couleurs vives. Les rouges, les bleus, les oranges illuminent les murs et voisinent en bonne intelligence.

Il est des maisons extraordinaires que l’on garde en mémoire, même si on ne les a vus qu’une seule fois, parce qu’elles ont le talent de se marier à leur paysage. Elles possèdent l’harmonie et l’originalité. Certaines sont si excentriques qu’on se demande quelle fantaisie a bien pu souffler sur leur conception.

Les villages affectionnent les eaux et leur chanson. En bien des lieux, un cours d’eau distille sa petite musique. Fenêtres et gens vivent penchés des années durant au-dessus de leur rivière. Elle emmène vers la mer des pensées et des rêves, qui se perdent là-bas. Partout, l’on croise à chaque pas des ruisseaux bondissants ou des fontaines. Ce sont elles qui feront la chanson, si l’eau vive est absente. Dans les villages si calmes de la Petite montagne, on en trouve toujours une pour glouglouter patiemment, et rythmer le temps. La Petite montagne est un pays doux où poussent les pins et les arbres fruitiers. Les maisons isolées sont abandonnées, celles des villages se serrent entre elles. Les routes sont minces et se coulent dans d’interminables forêts ; un détour brusque et l’on aperçoit les eaux vertes du lac de Vouglans…

À proximité de la frontière suisse, s’avancent les chalets. Ils cohabitent avec les fermes massives, solides. Leur assise demeure un peu lourde, l’élégance leur vient des étages de bois pimpant, des balustrades brodées et des fenêtres aux rideaux proprets. Les pelouses sont coupées de frais ; les chalets apportent avec eux un air d’opulence. Les villages s’allongent, s’approprient la vallée au long d’une interminable grand-rue, comme à Bois d’Amont où les maisons affichent des numéros invraisemblables, à quatre chiffres. Du côté de Lamoura, ça ne pense qu’à glisser, surfer, voler ou planer, comme si le pays tout entier était pris par l’ivresse des cimes. Vers la Pesse, où affleurent les roches grises, les tôles battent au vent, et il y a par là des souvenirs d’Indiens, des idées de western. Au printemps, la Pesse est un grand jardin de jonquilles, où chacun peut s’offrir un bouquet, aussi gros qu’il le souhaite. Les champs ondulent jaune et vert à l’infini. À peine plus loin, sur Bellecombe, l’habitat se disperse et s’isole. Les combes s’étirent et l’on pense à Brel : « Regarde bien petit, sur la plaine là-bas, il y a un homme qui vient, que je ne connais pas… »

Les maisons de la montagne gardent l’effroi de l’hiver jusqu’au plus chaud de l’été, quand l’air s’immobilise et brûle. On le sent dans l’épaisseur des murailles et les couches de bois dont elles s’habillent. Pour résister aux intempéries, la maison se cale dans les creux du relief, se tapit contre le vent. Ses ouvertures sont petites, son volume énorme permet de stocker pour l’hiver le foin nécessaire qui procure de surcroît un isolant efficace. Toit et bardage lui fournissent une couche supplémentaire de protection. Les tuiles tirent du côté de la terre d’où elles sont issues ; elles pèsent sur les bâtiments. La tôle se marie au ciel ; grise, presque bleue, elle se confond avec lui et les lourdes maisons en deviennent moins pesantes. Basses, comme écrasées, elles contemplent les sapins, et voudraient bien comme eux, s’élancer droit vers les nuages.

 

Extrait de "La maison dans le paysage" Françoise Desbiez, Alain Michaud, éditions Mon Village

 

Les fenêtres

(...) Vive la lumière !

Aujourd’hui, bien-être rime avec lumière. Tout au long de leur histoire, les fenêtres ont grandi, se sont épanouies en baies et portes-fenêtres. Elles ont réduit les murs pour ouvrir le paysage. La maison, à l’origine protection contre une nature hostile, a perdu ses allures de forteresse en état de siège derrière ses larges remparts. Toute l’évolution des matériaux de construction vise non seulement à développer les espaces de clarté avec les doubles vitrages, mais aussi alléger la carapace par des isolants plus efficaces et moins volumineux : laine de verre et placoplâtre… Les techniques auraient-elles enfin dompté la nature et ses menaces ? Il serait alors permis de rêver d’une maison en harmonie avec son univers. Assurée de ses acquis, elle s’ouvrirait en confiance sur un monde pacifié. Les fantasmes de la maison protectrice cèderaient la place à ceux de logis plus aériens, ouverts, débarrassés des contingences lourdes de la survie. « On aura une maison avec presque pas de murs, où il fera bon y vivre… » promet Jacques Brel à sa Frida, belle comme un soleil.

Les fenêtres sont filles du climat. Leur taille dit le soleil et le froid, l’abondance des pluies et des neiges, l’envie ou le rejet de l’extérieur. Dans la montagne où les moyennes annuelles de précipitations atteignent parfois deux mètres, le soleil est une denrée précieuse et le plus malin est toujours l’ensoleillé. Alors, on se vante de dominer les brouillards, quelle que soit sa hauteur. « On est toujours le montagnon de celui qui est plus bas placé, note avec malice Jean Garneret, car c’est une gloire et une supériorité qui ne souffrent pas discussion. » Quand les brouillards baignent la plaine, il ne faut point trop s’y immerger, sous peine de s’engluer dans leur prison ouatée. Non pas que les brumes manquent de charme, elles sont douces et rêveuses… Mais à force de se mouvoir dans ces fades grisailles, la vie s’engourdit, alors que là-haut, résonne de tous ses feux un soleil claironnant. « Huit mois de neige, deux mois de vent… Et tout le reste d’un beau temps dont vous n’avez pas idée ! » La montagne est pleine de ces fanfaronnades, revanches d’un hiver qui engloutit jusqu’à l’espoir. Il ne faut pas en vouloir aux gens de la montagne de tant de suffisance. Leur esprit, malmené par les routines du froid et de la neige, se projette sans cesse vers un avenir supposé meilleur. Mais les saisons ont beau accourir, elles n’amènent trop souvent que des automnes désolés, des hivers lancinants et des printemps paresseux. L’été rapide, forcément trop court, disparaît avant d’avoir épuisé les espoirs dont il était porteur. Ces déceptions climatiques toujours renouvelées développent des morosités. Ces temps de trop d’attente, ces heures jetées dans l’espérance des beaux jours, mal vécues, gaspillées, se retournent contre les humains et leur instillent le sentiment douloureux de vieillir trop vite.

Mine de rien, les fenêtres symbolisent la lutte de deux grandes puissances, celles de l’ombre et celles de la lumière. Elles sont l’enjeu des sourdes bagarres entre deux clans farouchement opposés, les alliés des arbres et ceux du soleil. Les premiers affirment qu’il faut planter aux abords de la maison, les seconds le contestent avec la même énergie. D’aucuns vous diront que les arbres sont arrogants, conquérants et n’amènent que du sombre, que les fenêtres sont faites pour la clarté. Leur nature est ainsi et il serait absurde de l’entraver, et pourtant… Quel charme dans ces croisées enchâssées de verdure, et ces maisons perdues dans les bois, tout habillées de lierre ou de vigne vierge !… Et quel plaisir de contempler de son domicile les verts tendres du printemps, les couleurs de l’été et les flamboyances de l’automne !… Les esprits froids dénonceront les ravages de la plante sur les façades, les méfaits de l’humidité qu’entraîneraient les arbres, l’obscurité, voire l’insalubrité qu’ils communiqueraient à la demeure. Quant aux partisans des arbres, ils prônent leur majesté, la verdure qui apaise et le bruissement de feuilles. Ils vénèrent en eux leur résistance à l’âge, aux guerres et à l’automobile, cette persistance qu’ils ont à braver les tempêtes. Abattre pareil symbole serait de la dernière lâcheté, que nul prétexte ne pourrait justifier, surtout pas une raison aussi frivole qu’une envie de soleil. Mais chaque demeure abrite au moins un de leurs adversaires, ennemi déclaré non pas des arbres en général mais des grands tilleuls ou des frênes qui, devant la maison, accaparent son soleil. Il ne conteste pas la gloire de leurs symboles. Il se réclame même de la fleur des tilleuls, qui tombe si joliment en virevoltant. On peut le surprendre à concocter dans l’ombre ces tisanes aux parfums vieillots et maladifs. Certes, les tilleuls vieillissants affichent un laisser-aller regrettable, laissant tomber des branches de plus en plus lourdes, et une ombre de plus en plus épaisse. Certes, ceux du parti de la lumière s’exaspèrent, les autres demeurant plutôt insouciants.

Les fenêtres, qui sont plus sages, restent imperturbables, et reflètent indifféremment la verdure ou le ciel.

Extrait de "La maison dans le paysage" Françoise Desbiez, Alain Michaud, éditions Mon Village

Les portes

La porte d’entrée a de l’importance et de nombreux associés, la boîte aux lettres et le heurtoir lourd, le linteau gravé d’initiales ou d’une phrase bien sentie, et un numéro, repère du facteur, qui atteste qu’elle est bien répertoriée dans la communauté sociale. Les clochettes et carillons volettent dans ses parages, et toutes sortes de décorations encouragent la bienvenue. Des esprits malveillants pourraient se demander s’il n’y a pas du danger à passer le seuil, tant certaines entrées insistent à vous faire pénétrer, tant les bonjour, welcome, bienvenue à vous, virevoltent en abondance. En tout cas, la porte est respectable ; un rideau la protège contre les mouches ou les curieux. Elle se ferme parfois d’un volet inférieur, qui la garantit de la divagation des poules et autres volailles erratiques. Placée sous la protection d’une statue ou d’une simple niche vide, elle est encadrée de belles et grosses pierres blanches, parfois récupérées d’un château disparu ou d’un monastère. Le seuil patiné voit passer les bonnes ou les mauvaises nouvelles, les amis ou les importuns.

Les portes de grange ou d’écurie affectionnent les arcs en pierre. Dans les fermes pauvres, le linteau est parfois en bois légèrement entaillé. Les vantaux sont incrustés de gros clous forgés, fichés dans des planches d’un âge canonique. Elles sont les témoins d’une culture paysanne. Plus délaissées, on y liquide les vieux fonds de peinture, par acquis de conscience, pour les finir. Les piles de bois les condamnent ou les enserrent jusqu’à ne plus laisser qu’un passage, étroit comme une gorge.

Intérieur, extérieur

La porte se doit d’être solide pour résister à l’assaillant qu’elle n’a que trop connu dans son histoire. Les vitres fragiles ne lui conviennent pas, à moins d’être accompagnées de volets ou d’une bonne grille en fer forgé. Pour l’hospitalité et l’aération, la coutume est de la laisser ouverte ; elle donne directement sur la cuisine ou un couloir. On devine celui-ci, quand il existe, à la présence de l’imposte qui lui offre un rab de lumière. Compartiment utile, ce couloir est zone-frontière entre l’extérieur et l’intérieur. Il isole du froid et des courants d’air, tamise les atteintes du dehors. On y dépose les encombrements, vêtements et sacs, et les chaussures boueuses. À l’intérieur, il organise l’espace ; à droite, la cuisine et le logement, à gauche, la grange et les bêtes. Un escalier, au fond, donne accès aux chambres hautes. Abrupt, il a gardé la raideur de son ancêtre l’échelle — celle-ci n’a quitté les demeures modestes qu’au XIXe siècle. Ses marches sont encastrées entre deux limons, à la française. En l’absence de couloir, l’escalier se ferme volontiers d’une cloison pour limiter les courants d’air.

Entrée et cuisine étaient pavées de larges pierres plates polies par les passages et les lavages, appelées cadettes. La mode du formica et les carrelages modernes emportèrent la plupart d’entre elles. La cuisine, pièce d’accueil, était le passage obligé pour parvenir au poêle, plus intime et confortable avec son plancher en bois et des murs fréquemment lambrissés. Une troisième pièce pouvait succéder, remise pour les outils les plus précieux ou la nourriture. À l’origine, le logement se réduisait à la cuisine et au poêle, où la famille se retrouvait. C’est là que dormaient les parents et les filles, les garçons passant la nuit dans la grange. Le logement ne s’agrandira que lentement, avec l’accroissement du niveau de vie et au rythme chaotique de l’histoire. (...)

Extrait de "La maison dans le paysage" Françoise Desbiez, Alain Michaud, éditions Mon Village

Sacré et superstitions

Sur le linteau de la porte d’entrée, s’inscrivent les convictions et les initiales, celles du constructeur ou du premier habitant des lieux. Elles affirment la propriété, aux côtés de la date de finition ; on grave dans la pierre l’essentiel, les bases historiques de la maison. Les initiales encadrent le millésime où s’intercale une croix et souvent le monogramme du Christ : IHS. Début XVIIIe, la mode est au millésime entouré d’un cœur et surmonté d’une croix. Outre ces inscriptions, « beaucoup de maisons, au-dessus de la porte, ou bien au centre du premier étage, ou même dans le cintre de l’arcade boutiquière, ont une petite niche contenant une madone ou la statue du saint spécialement vénéré du maître du logis » (Pidoux de la Maduère). La niche, cette chapelle du pauvre, est un simple creux avec quelques exceptions joliment sculptées. Là, des vierges à l’enfant et des vierges solitaires, plus rarement des saints veillent depuis la nuit des temps. Ils ouvrent leurs mains aux visiteurs, l’accueillent avec bienveillance. On leur a posé quelques fleurs ; une ampoule les éclaire parfois. Ces oratoires minuscules sont d’un abord facile, bien plus proche et efficace que les grandes statues des églises. Ils font partie de la maison ; on leur donne un coup d’éponge ou de plumeau, familièrement, en balayant devant la porte. On peut leur parler les jours de solitude et partager avec eux les moments joyeux. Cela crée des liens, et les encourage dans leur tâche de veiller sur la maison et ses occupants. Là-dessus, les Comtois sont bien d’accord et les Doubistes plus que quiconque, eux qui sèment croix et statuettes sur bon nombre de leurs demeures. (...)

Extrait de "La maison dans le paysage" Françoise Desbiez, Alain Michaud, éditions Mon Village

Les jardins

L’été, les jardins fanfaronnent des musiques colorées. Les vents et le soleil bercent leurs herbes folles. Les potagers alignent des carrés sagement ordonnés tandis que les fleurs s’échappent en parterres volubiles. Leurs frontières sont des murets de pierres ou des clôtures de bois qui les préservent des poules et autres prédateurs. Un portillon perdu dans la verdure en garde l’entrée. Jamais loin des maisons, les jardins leurs ressemblent. Ils sont policés ou fantaisistes, astucieux, débrouillards. Les vieux bidons font usage de pots de fleurs, les bois usés s’assemblent en girouettes. Les jardins prolongent et accompagnent le passage de l’intimité du logis au monde extérieur. Ouverts sur le grand air, ils sont espace de tiges légères et de compositions fluides qui tranchent sur la dureté de la pierre et la solidité de la maison. Un jardin renouvelle chaque matin le plaisir de fouler la terre. Durcie aux abords du seuil à force d’être piétinée, elle est sur les plates-bandes meuble et légère, domaine des insectes et des patientes araignées.

L’hiver dévoile les lignes du jardin et sa disposition. La terre brune, vidée par les récoltes de l’automne, présente au ciel une géométrie épurée. Avec le froid et la neige, les jardins rentrent sous terre et l’on ne sait pas trop ce que mijotent graines, bulbes et racines. Le printemps est plein de surprises. Les branches s’élancent vers le ciel, les graines explosent en feuilles minuscules, et les salades s’arrondissent, guettées par les limaces voraces.

Jardins utiles

Il est des mots fertiles, qui font envie et le mot jardin est ainsi. Ce mot est large et possède de l’ampleur. Le plus minuscule coin de terre qu’il évoque, a déjà de la splendeur, et appelle des notions plaisantes et enfouies. Avec le jardin viennent des idées de soleil et de bavardages, des tables dressées pour des repas d’été, des tonnelles et des roseraies, des promenades et des senteurs, des toiles impressionnistes et des dimanches.

Mais le jardin ne fut pas toujours domaine de la plaisance. Idée de nature, il ne se développe dans les villes qu’au XVIIe siècle. Le concours des villes et villages fleuris voit le jour au sortir de la seconde guerre mondiale, pour égayer un cadre de vie morose. Les pelouses et l’aspect ornemental ne se développent que depuis un quart de siècle. Auparavant, le jardin était avant tout potager, chargé d’assurer la subsistance en fruits et légumes pour l’année — choux, poireaux et autres navets étaient surnommés les secours de l’hiver. Pour cette fonction vitale, le potager avait droit à tous les égards. Orienté au soleil levant ou mieux, au sud-ouest, il était adossé à la bataillée, à l’abri des vents du nord. En altitude, on le préférait en pente pour mieux profiter des rayons solaires. Pas de culture sans clôture pour protéger des errants de toutes sortes, troupeaux, poules, chiens ou maraudeurs. Suffisamment hautes pour garantir du vent, les clôtures permettaient de surcroît de jauger au moment venu la hauteur de la neige. Les palissades étaient de couenneaux — première planche bombée débitée en scierie sous l’écorce des grumes — entrelacées de perches ou de branches de sapins, les dalles, ou encore murets de pierres sèches, parfois de pierres levées. Durant la dernière guerre, les jardins fournirent pommes de terre, choux, raves, haricots en grains et navets. Puis vint l’exode rural, vergers et potagers s’appauvrirent tandis que les épiciers s’approvisionnaient en légumes frais. Les prix baissèrent et les frigidaires permirent d’acheter au jour le jour. La peur de manquer disparut, et avec elle l’habitude de faire des réserves. Les champs de patates, de pommes, poires, mirabelles et quetsches cèdent alors la place aux thuyas et autres arbustes d’ornements.

Si le potager est en perte de vitesse, il demeure toutefois, plus exigu mais bien présent, aux côtés des résidences principales. Personne ne vante plus sa nécessité, mais l’accent est mis sur la tradition, le devoir de ne point laisser la terre inculte et l’excellence des saveurs potagères. Il est vrai qu’elles surpassent allègrement celles des produits du commerce, soupçonnés de traitements chimiques plus ou moins douteux. Les résidences secondaires s’adonnent plus volontiers à l’exubérance florale, avec un penchant marqué pour la clôture et la haie. Individualistes, les nouveaux campagnards tentent de reconstituer une nature selon leurs vœux, parfois mièvre ou trop jolie, « non la vision d’un monde sauvegardé ou restauré, définit Pierre Gascar, mais celle du monde idéal dont, depuis qu’il est sur terre, l’homme n’a cessé de rêver ». (...)

Extrait de "La maison dans le paysage" Françoise Desbiez, Alain Michaud, éditions Mon Village

Accessoires de jardin

(...) Des jardins pour refaire le monde

Ensemble de croyances et de morale, les légendes composaient un carcan qui s’est desserré aujourd’hui ; il demeure cependant un grand nombre d’obligations sociales et de contraintes. Les jardins deviennent un espace où se relâchent les pressions, d’autant que jardiner est un art adapté à la main et à l’esprit humain, ce qui n’est plus le cas dans la majorité des métiers actuels. Si le travail n’implique plus le physique, tendant à virtualiser la vie, les loisirs essayent de reconstituer un lien oublié avec la nature. Histoire de se défouler un peu, le monde se fabrique des jardins où tout peut arriver… Les escargots y sont plus gros que des moulins, les girouettes ressemblent à des avions, les faons gambadent avec les poules et les lapins. Dans ces jardins-là, on peut à la fois faire l’enfant et se rire des symboles. Quoi de plus naturel alors que les décorations plongent leurs racines dans ce fonds de légendes qui non seulement a bercé l’enfance mais forge l’esprit depuis la nuit des temps. Mythes transgressés pour devenir simples décorations, elles sont objets familiers qui mettent les esprits de leur côté, à une échelle domestique. Les petits moulins s’approprient les esprits du vent et les puits ceux de l’eau. Lourde tâche accomplie de jardin en jardin par un peuple de céramique ou de plastique, animaux ou nains. Ce petit monde essaime sa bienveillance de loin en loin. Et les puits des fermes bressanes tout chargés de verdure, immanquablement accompagnés d’une brouette elle aussi lourdement décorée, répondent au chaudron ou à l’abreuvoir désaffecté envahi de végétal qui trône sur la place du village…

Les maisons et les jardins ressemblent à leurs propriétaires, et l’inverse est tout aussi flagrant. Ces lieux, impassibles en apparence, influencent largement le paysage. Sur les décorations de jardin, planent des esprits débonnaires, attentifs à créer un monde sympathique. Les oies et les canards ne sont jamais criards, les lapins et les crapauds sont gentiment espiègles et les brouettes croulent sous les fleurs. Ils sont des outils pour forger un paradis miniature, d’autant plus soigné que l’espace autour de la maison se restreint. Les décorations vont souvent de pair avec des jardins de petite taille, des pierres percées et de minuscules fontaines. On sent par là des agencements longuement pesés et pensés, qui, propres et bien entretenus, répondent à ceux de la maison. Les jardins décorés se repèrent de loin ; leur coquetterie épouse celle de l’habitation. Ils sont souvent l’œuvre de personnages enjoués, à la bonne humeur communicative, sans distinction d’âge ou de classe sociale. Le jardin prolonge à l’extérieur et au vu de tous, la maison et ses choix. Il présente aux passants un reflet des goûts et de l’harmonie familiale. Les joyeux animaux de céramique sont là certes pour décorer, mais aussi pour réjouir le monde et lui apporter une note de fantaisie bonhomme

Outre les figurines du commerce, on rencontre parfois de vraies œuvres d’art, sculptures qui trouvent dans la nature toute leur force d’expression, se marient avec elle et y puisent de nouvelles significations. On peut distinguer trois types de décorations, les œuvres contemporaines d’artistes connus ou inconnus, ou encore de simples artisans auteurs d’objets incongrus, figurines naïves, totems, avions-girouettes… Les sculptures classiques qui plaisent aux riches demeures sont de pierre ou de marbre, statues ou vasques qui enrichissent les bassins et les allées. Enfin, les décorations de bazar sont moulins à vent, girouettes et lapins, canards dodus et les célèbres nains. Les détails des jardins, quelle que soit leur catégorie, en reviennent toujours à l’envie de modeler son paysage, de marquer la terre de son empreinte, même à une échelle minuscule.

Extrait de "La maison dans le paysage" Françoise Desbiez, Alain Michaud, éditions Mon Village

Nains et légendes

Le nain est coloré et joyeux. On le dit travailleur, mais on le voit surtout batifoler dans les parterres fleuris aux premiers rayons du soleil. Le nain, comme l’hirondelle, annonce le printemps ; frileux, il disparaît dès les premiers frimas. Clinquant ou ordinaire, il est toujours apprécié de ses propriétaires, qui lui prodiguent des soins attentifs ; c’est lui qui s’approprie la meilleure place du jardin. En groupe, il compose des ensembles joyeux qui retiennent les passants et délient les langues. Les conversations portent alors sur la sympathie qui émane de ces personnages et la rondeur de leur physionomie.

Pourtant, le nain est souvent méprisé et rejeté ; c’est un marginal qui se moque du correct et des modes. Il appartient à la France dite d’en-bas, même si celle dite d’en-haut s’offre parfois le plaisir canaille d’en importer sur ses pelouses. Il s’agit en ce cas d’une délicieuse tendance vers un kitsch, certes de mauvais goût mais preuve d’un humour tout à fait exquis.

Assurément une pièce maîtresse dans la famille des ornements jardiniers, le nain, populaire et bon marché, tire du côté du bazar. Il a l’aspect attendrissant des objets depuis toujours démodés, banals à en douter de l’existence de Dieu. En général petit et contrefait, il est revêtu de couleurs qualifiées, on ne sait pourquoi de rigolotes, du jaune vif et du vert pomme. Ses joues sont rouges et son bonnet itou, le pantalon bleu ; pelles ou râteaux sont argentés, prêts à l’action.

Il ne faut pas s’alarmer de ces coloris criards. Le temps et ses intempéries se chargeront de les faire revenir à des intensités plus supportables. De plus, les fleurs des massifs qui, elles, s’autorisent les mélanges colorés les plus hardis sans que jamais l’accord n’en soit désagréable, se chargeront de les éteindre. Le nain de jardin est petit certes, pourvu de membres courts ; sa mise est plutôt de mauvais goût et l’harmonie n’est pas son fort, mais c’est un tendre qui cherche l’affection. Rien à voir avec ces lions hautains de pierre sculptée, arrogants, satisfaits, et ces amours rondouillards chers aux jardins classiques. Ces importants qui toisent le passant croient défier l’éternité et se gonflent d’une insupportable vanité. Le nain de jardin, lui, n’a pas d’autre ambition que d’être jovial et rondouillard. Il a les joues rebondies, une panse de bon aloi. Il tend sa bouille comme pour un baiser et ne demande rien.

La patrie du nain est l’Allemagne, où il est accueilli dans plus d’un jardin sur deux. Pour les anciens Germains, le géant Ymir fut le premier des êtres vivants. Il donna naissance à l’homme et à la femme, puis aux animaux et également aux dieux. À sa mort, de petites larves se formèrent sur son corps, que les géants transformèrent en nains, dotés de raison et d’une apparence humaine. Le pays de Goethe et des frères Grimm a nourri l’imagination de ses enfants au lait des forêts sombres et des ogres, des petits poucets et des diableries. Capable d’engendrer des personnages parfois excentriques, l’Allemagne vit naître en 1872, en Thuringe, August Heissner, un des premiers à s’intéresser au nain de jardin, tellement qu’il fonda une manufacture. L’affaire prospéra. D’abord en céramique, les petits personnages colonisèrent l’Angleterre, New York ou San Francisco. Aujourd’hui, la maison Heissner présente plus de 200 modèles différents, non plus en terre émaillée mais en PVC. Traditionnellement jardinier ou en tout cas travailleur, le nain s’est peu à peu lancé dans des activités sportives, haltérophilie, boxe, parachute ou montgolfière. Lui, si actif, se laisse parfois même aller au farniente. On en a vu dans des hamacs savourer une sieste bien méritée.

Début XXe siècle, les nains sont promus présages de bonheur, tout comme le trèfle à quatre feuilles, le fer à cheval ou le cochon symbole d’opulence. On s’envoie pour la bonne année des cartes où de gras cochons s’épanouissent au milieu de trèfles à quatre feuilles et de nains joyeux. La publicité ne tarde pas à embaucher ces derniers pour vanter les mérites des bières, gommes et encres, pneus, etc. (...)

Extrait de "La maison dans le paysage" Françoise Desbiez, Alain Michaud, éditions Mon Village

FIN DE LA PAGE

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Published by Folavril - dans Les livres
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Les Barques

 

 

Elles accostent, les barques, toutes bruissantes de leurs aventures, encore pleines du souffle des vents, les plus grisants, ceux que l’on respire au plein centre des lacs, quand de leurs profondeurs monte un petit vertige. Elles sont lourdes de poissons aux yeux ronds, et du murmure des mots tendres échangés à leur bord. L’air frémit encore de ces souvenirs, que le temps dissoudra dans un impalpable froissement.

La barque n’a pas peur. Elle veut s’attaquer au réel et s’offrir des rêves pour de vrai, des virées en pleines eaux, des sensations fluides. Elle est un véhicule, passeport pour un ailleurs dédié à l’aventure. Forêt vierge ou lacs secrets, le lieu importe peu, les émotions aquatiques se ressemblent.

La terre met sous les pieds une obsession dure. Elle étourdit le regard de ses végétations luxuriantes. Les herbes, arbres et arbustes, sans cesse, réclament l’attention du marcheur. Les herbes s’entortillent autour des pieds, les feuilles mortes et les branches se prennent dans les jambes, les accidents du terrain dressent à plaisir des obstacles, et les roches en rajoutent, en matière d’obstruction. On se heurte sur terre à des résistances rebutantes et massives.

Rien de cela sur l’eau, point de plaies et de bosses. On glisse en liberté dans un élément doux, aux murmures délicats. On y progresse sans s’opposer, ou du moins les contraintes relâchent leur dictature. On y échappe aux règles pesantes de l’attraction terrestre et l’on s’émerveille d’autres lois, plus fluides. Poussé vers des espaces ouverts et bienveillants, on flotte, bienheureux dans une sérénité liquide comme les rêves. Les eaux ont ce grand pouvoir de vous entraîner très près du paradis terrestre. Les ondes que dégagent l’avancée de la barque sont moirées, ondulantes et soyeuses. C’est un monde raffiné, où règne une liberté voluptueuse.

*

Le flottement induit des méditations lentes au rythme des courants, dont les pêcheurs sont coutumiers. A peine, quelques prises aléatoires les dérangent dans leurs réflexions. Ce n’est pas tant les poissons que guette le pêcheur; ils sont cadeaux-surprises qui font battre son cœur. Certes, il pêche ces plaisirs, mais l’affaire qui le préoccupe est d’une autre nature. Il s’agit de transformer la substance du temps. L’attente de la prise imprime aux heures une tension salutaire, excitante et féconde. Elle chasse le désœuvrement de traîner sur l’eau sans occupation, car les pêcheurs ne s’ennuient jamais. On les croit inertes, prostrés et apathiques, mais à peine frétille l’hameçon qu’ils bondissent comme des diables, tout agités soudain, attentifs et jovials !

Le ciel trop bleu ne leur convient pas, ils préfèrent les grisailles, les nuages et les brumes. Ils goûtent les charmes troubles des petits matins pâles et des soirs lourds d’orage, ces moments où le temps s’arrête dans l’attente du soleil ou d’une pluie impétueuse.

Les pêcheurs ont d’étranges rapports avec le temps, celui qu’il fait et celui qui s’écoule. A regarder leurs barques, on les croit suspendues entre le ciel et l’eau, en lévitation entre deux éléments. Le temps qui glisse inexorablement, ne les atteint plus, pas plus que les soucis quotidiens. Déjà, leur esprit baigne dans un espace d’éternité. A force de flotter, on sent bien qu’ils pourraient s’envoler vers des pays d’immortalité. La fréquentation des poissons mystérieux et muets contribue sans doute à cet état pensif. Les poissons, comme les pêcheurs, sont amoureux des songes. Ils glissent entre les eaux, rapides et silencieux. Un rayon de soleil s’accroche à leurs écailles, ils sont déjà ailleurs.

Et puis, tout d’un coup, on ne sait trop pourquoi, les pêcheurs se reprennent, comme sortant d’une hypnose. Ils attrapent leurs rames, en frappent énergiquement la surface des ondes. Ils rejoignent le monde des terriens, exhibent fièrement leurs prises et redeviennent enjoués et rubiconds, affamés et cruels. Ils déballent un casse-croûte, saucisson et fromage, et trinquent à l’agonie des poissons étincelants.

 

Extrait du livre « Le Bois dans le paysage », Françoise Desbiez, Alain Michaud, éditions Arts et Littérature

 

Les Pontons

 

 

“Plate-forme flottante reliée à un quai ou un rivage”, le ponton est du bois qui voudrait naviguer. Il s’allonge vers des profondeurs qui l’attirent, où se mirent les nuages et les oiseaux libres. Hélas, les éléments l’attaquent sans pitié. Les pluies s’accordent avec les lacs pour l’envelopper d’humidités pernicieuses. La neige s’appesantit sur ses planches disjointes, que le gel broie, irrémédiablement. Les pontons n’ont jamais de repos, toujours en butte à des tourments sans fin. Au contraire des barques qu’une main compatissante tire vers le sec, à l’abri de l’hiver, les pontons sont toujours à la peine.

Leur existence est courte, on en fait peu de cas. Ce sont les misérables du monde aquatique, constructions malencontreuses et grossières, oubliées çà et là, mal estimées. Leur durée sera prolongée par quelques planches rafistolées sans grande conviction. Le ponton est vite remplacé, abandonné sans regret à son sort cruel. Mieux vaut en changer que perdre son temps à des réparations de fortune. Sa valeur est négligeable, ses ruines pourriront sous l’eau. Au mieux, on les arrachera pour en faire un mauvais feu, où rôtiront des viandes de pique-nique ou un poisson frais pêché.

Pourtant, le ponton est le dernier rêve des timides, ceux qui ont peur de l’eau, qui ne savent pas nager et n’oseraient s’aventurer plus loin. Il est une étape complaisante entre la terre et l’eau. On l’emprunte pour aller taquiner le poisson quand manque l’embarcation, ou pour rejoindre les barques à l’attache. Il emmène à la rencontre d’une, qui revient de promenade, et permet des bains en évitant la vase si déplaisante des bords. On peut s’y rôtir au soleil et y marcher pieds nus, en regardant s’évaporer la trace de ses pas sur les planches. On peut sentir leur contact rugueux, et juste en dessous, dans le même temps, des impressions liquides. On peut y goûter des frissons, y passer des envies de naviguer, quand on voudrait bien embarquer, mais pas vraiment quand même. On peut s’offrir sur un ponton l’impression de flotter sans en payer le prix, et rêvasser à l’infini sur les charmes nautiques. Ces planches sont alliées de l’imagination.

Les pontons sont jaloux des barques. Ils aimeraient bien larguer les amarres, aller voir plus loin comment sont les paysages. Ils regarderaient, d’un autre point de vue, les forêts et les champs. Ils sentiraient contre leurs flancs le clapotis de l’eau, et vieilliraient pour quelque chose enfin. Ils en auraient fini avec cette longue attente d’on ne sait quel voyage. Mais pour leur malheur, ils sont trop attachés, réduits à supporter le spectacle des embarcations arrogantes.

 

Extrait du livre « Le Bois dans le paysage », Françoise Desbiez, Alain Michaud, éditions Arts et Littérature

 

 

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