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Les Barques

 

 

Elles accostent, les barques, toutes bruissantes de leurs aventures, encore pleines du souffle des vents, les plus grisants, ceux que l’on respire au plein centre des lacs, quand de leurs profondeurs monte un petit vertige. Elles sont lourdes de poissons aux yeux ronds, et du murmure des mots tendres échangés à leur bord. L’air frémit encore de ces souvenirs, que le temps dissoudra dans un impalpable froissement.

La barque n’a pas peur. Elle veut s’attaquer au réel et s’offrir des rêves pour de vrai, des virées en pleines eaux, des sensations fluides. Elle est un véhicule, passeport pour un ailleurs dédié à l’aventure. Forêt vierge ou lacs secrets, le lieu importe peu, les émotions aquatiques se ressemblent.

La terre met sous les pieds une obsession dure. Elle étourdit le regard de ses végétations luxuriantes. Les herbes, arbres et arbustes, sans cesse, réclament l’attention du marcheur. Les herbes s’entortillent autour des pieds, les feuilles mortes et les branches se prennent dans les jambes, les accidents du terrain dressent à plaisir des obstacles, et les roches en rajoutent, en matière d’obstruction. On se heurte sur terre à des résistances rebutantes et massives.

Rien de cela sur l’eau, point de plaies et de bosses. On glisse en liberté dans un élément doux, aux murmures délicats. On y progresse sans s’opposer, ou du moins les contraintes relâchent leur dictature. On y échappe aux règles pesantes de l’attraction terrestre et l’on s’émerveille d’autres lois, plus fluides. Poussé vers des espaces ouverts et bienveillants, on flotte, bienheureux dans une sérénité liquide comme les rêves. Les eaux ont ce grand pouvoir de vous entraîner très près du paradis terrestre. Les ondes que dégagent l’avancée de la barque sont moirées, ondulantes et soyeuses. C’est un monde raffiné, où règne une liberté voluptueuse.

*

Le flottement induit des méditations lentes au rythme des courants, dont les pêcheurs sont coutumiers. A peine, quelques prises aléatoires les dérangent dans leurs réflexions. Ce n’est pas tant les poissons que guette le pêcheur; ils sont cadeaux-surprises qui font battre son cœur. Certes, il pêche ces plaisirs, mais l’affaire qui le préoccupe est d’une autre nature. Il s’agit de transformer la substance du temps. L’attente de la prise imprime aux heures une tension salutaire, excitante et féconde. Elle chasse le désœuvrement de traîner sur l’eau sans occupation, car les pêcheurs ne s’ennuient jamais. On les croit inertes, prostrés et apathiques, mais à peine frétille l’hameçon qu’ils bondissent comme des diables, tout agités soudain, attentifs et jovials !

Le ciel trop bleu ne leur convient pas, ils préfèrent les grisailles, les nuages et les brumes. Ils goûtent les charmes troubles des petits matins pâles et des soirs lourds d’orage, ces moments où le temps s’arrête dans l’attente du soleil ou d’une pluie impétueuse.

Les pêcheurs ont d’étranges rapports avec le temps, celui qu’il fait et celui qui s’écoule. A regarder leurs barques, on les croit suspendues entre le ciel et l’eau, en lévitation entre deux éléments. Le temps qui glisse inexorablement, ne les atteint plus, pas plus que les soucis quotidiens. Déjà, leur esprit baigne dans un espace d’éternité. A force de flotter, on sent bien qu’ils pourraient s’envoler vers des pays d’immortalité. La fréquentation des poissons mystérieux et muets contribue sans doute à cet état pensif. Les poissons, comme les pêcheurs, sont amoureux des songes. Ils glissent entre les eaux, rapides et silencieux. Un rayon de soleil s’accroche à leurs écailles, ils sont déjà ailleurs.

Et puis, tout d’un coup, on ne sait trop pourquoi, les pêcheurs se reprennent, comme sortant d’une hypnose. Ils attrapent leurs rames, en frappent énergiquement la surface des ondes. Ils rejoignent le monde des terriens, exhibent fièrement leurs prises et redeviennent enjoués et rubiconds, affamés et cruels. Ils déballent un casse-croûte, saucisson et fromage, et trinquent à l’agonie des poissons étincelants.

 

Extrait du livre « Le Bois dans le paysage », Françoise Desbiez, Alain Michaud, éditions Arts et Littérature

 

Les Pontons

 

 

“Plate-forme flottante reliée à un quai ou un rivage”, le ponton est du bois qui voudrait naviguer. Il s’allonge vers des profondeurs qui l’attirent, où se mirent les nuages et les oiseaux libres. Hélas, les éléments l’attaquent sans pitié. Les pluies s’accordent avec les lacs pour l’envelopper d’humidités pernicieuses. La neige s’appesantit sur ses planches disjointes, que le gel broie, irrémédiablement. Les pontons n’ont jamais de repos, toujours en butte à des tourments sans fin. Au contraire des barques qu’une main compatissante tire vers le sec, à l’abri de l’hiver, les pontons sont toujours à la peine.

Leur existence est courte, on en fait peu de cas. Ce sont les misérables du monde aquatique, constructions malencontreuses et grossières, oubliées çà et là, mal estimées. Leur durée sera prolongée par quelques planches rafistolées sans grande conviction. Le ponton est vite remplacé, abandonné sans regret à son sort cruel. Mieux vaut en changer que perdre son temps à des réparations de fortune. Sa valeur est négligeable, ses ruines pourriront sous l’eau. Au mieux, on les arrachera pour en faire un mauvais feu, où rôtiront des viandes de pique-nique ou un poisson frais pêché.

Pourtant, le ponton est le dernier rêve des timides, ceux qui ont peur de l’eau, qui ne savent pas nager et n’oseraient s’aventurer plus loin. Il est une étape complaisante entre la terre et l’eau. On l’emprunte pour aller taquiner le poisson quand manque l’embarcation, ou pour rejoindre les barques à l’attache. Il emmène à la rencontre d’une, qui revient de promenade, et permet des bains en évitant la vase si déplaisante des bords. On peut s’y rôtir au soleil et y marcher pieds nus, en regardant s’évaporer la trace de ses pas sur les planches. On peut sentir leur contact rugueux, et juste en dessous, dans le même temps, des impressions liquides. On peut y goûter des frissons, y passer des envies de naviguer, quand on voudrait bien embarquer, mais pas vraiment quand même. On peut s’offrir sur un ponton l’impression de flotter sans en payer le prix, et rêvasser à l’infini sur les charmes nautiques. Ces planches sont alliées de l’imagination.

Les pontons sont jaloux des barques. Ils aimeraient bien larguer les amarres, aller voir plus loin comment sont les paysages. Ils regarderaient, d’un autre point de vue, les forêts et les champs. Ils sentiraient contre leurs flancs le clapotis de l’eau, et vieilliraient pour quelque chose enfin. Ils en auraient fini avec cette longue attente d’on ne sait quel voyage. Mais pour leur malheur, ils sont trop attachés, réduits à supporter le spectacle des embarcations arrogantes.

 

Extrait du livre « Le Bois dans le paysage », Françoise Desbiez, Alain Michaud, éditions Arts et Littérature

 

 

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Published by Folavril - dans Les livres

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