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Préface

Ce livre était devenu une nécessité. J’ai réussi à convaincre Françoise, qui a une jolie plume, de reconstruire l’histoire de cette famille médicale et franc-comtoise, dont on retrouve la trace dès 1635 à Saules, près d’Ornans. Elle a pris son essor au XIXe siècle en comprenant que la clé de la réussite ne passait plus par la possession des terres, mais par la réussite dans les études supérieures.

Le désir de notre génération était de rendre hommage à cette lignée de médecins, car la profession dominante de cette saga est bien la médecine. Et ce métier, nous l’avons tous exercé avec passion. Notre trisaïeul Denis est aide-chirurgien dans les armées de Napoléon. Démobilisé, il entreprend des études de médecine à Besançon et Strasbourg avant de s’installer à Bletterans, en 1821. Il est à l’origine d’une lignée ininterrompue de docteurs Desbiez, qui se perpétue encore aujourd’hui avec la sixième génération de médecins…

Nous voulions également rappeler notre appartenance au Jura, qui reste ancré dans notre cœur, bien que nous ayons pour la plupart fait nos études, et exercé notre métier ailleurs en France. Mais nous sommes tous restés attachés à la Bresse et au Revermont ; pour moi, « le Jura, c’est la France », dixit mon épouse.

J’ai souhaité ce livre pour perpétuer le souvenir de ma grand-mère, Marie Reverchon-Desbiez, femme d’exception, enseignante-née pour laquelle j’avais une folle admiration. Elle m’a appris à lire et à écrire, et je garde d’elle un souvenir idéalisé. J’étais et suis toujours persuadé qu’en quelques leçons, j’ai su lire. La réalité, d’après ses lettres à mon père, n’est pas tout à fait celle-là, « je ne tenais pas en place, je ne savais pas me concentrer… » Elle m’a également encouragé tout au long de mes études jusqu’à ma nomination à l’internat de Paris. On sait bien que cent ans après votre disparition, tout le monde vous a oublié, et je me sens un devoir de mémoire envers elle. Grâce à ce livre, il est comblé. Mon frère, ma sœur et tous mes cousins et cousines ont souscrit à cette idée, et j’espère que le résultat leur plaira autant qu’à moi…

Françoise a fait un travail considérable de documentation en déchiffrant les lettres que Marie Desbiez-Reverchon a écrit à ses quatre fils pendant toute leur vie, lorsqu’ils étaient écoliers, étudiants, adultes. Elle a su choisir les passages des lettres qui nous font revivre la guerre de 14-18, les années 30, la guerre de 40 avec Jean à Zuydcoote, et Jacques prisonnier dans un Oflag en Poméranie. Fuyant les Russes en 1945, il nous entraine dans une longue marche surréaliste à travers une Allemagne désorganisée.

Nous voulons aussi, au moment de la mondialisation, que les générations futures puissent garder leurs racines. « Lorsque tu ne sais pas où tu vas, regarde d'où tu viens », dit le proverbe africain, et Paul Ricœur ajoute : « dans les traditions, il n’y a pas que du passé, il y a aussi le futur du passé ».

Aujourd’hui, les descendants de cette famille restent attachés à un certain nombre de valeurs morales transmises en héritage. Même si au XXIe siècle, ces valeurs peuvent parfois sembler pesantes, j’espère que chacun trouvera dans ce livre des passages qu’il aura déjà entendu par ses parents. Pour les arrières petits-enfants de Charles et Marie Desbiez, et leur descendance, ce livre pourrait être intitulé « Avant-mémoire ».

Merci Françoise, d’avoir été pour nous tous une merveilleuse interprète, avec ton style alerte et imagé. J’espère qu’un jour, un de nos descendants écrira la suite de cette saga.

L’Etoile, le 15 avril 2014

 

Docteur Pierre Desbiez

 

 

 

Introduction

Ce livre sur la famille Desbiez fut longtemps un objet de fantasmes. J’imagine que chacun de ses membres avait, dans un coin de la tête, son livre à lui, une épopée forcément glorieuse où se mêleraient les parfums de l’enfance, la maison de Bletterans et des visages disparus. Chez nous, la petite madeleine de Proust avait l’odeur des médicaments, tradition médicale oblige. Les Desbiez sont soigneurs par nature, ils ont la médecine dans la peau, grandissent avec elle et l’épousent pour la vie. Il en est ainsi depuis des générations. Ceux qui ne soignent pas, s’en consolent en écrivant des journaux intimes ou de longues lettres, où ils content leurs lectures et la politique, le temps qui passe et la mélancolie. Toute sa vie, Marie écrira une fois par semaine, voire deux fois, à ses fils, Jacques particulièrement. L’encre a pâli, mais Marie revit dans ces feuilles jaunies, avec ses désirs et ses inquiétudes, et un amour fou pour ses quatre garçons. Tout comme renait dans les pages de ses cahiers, Adelphe Gerrier, chirurgien dans la guerre de Crimée, ou Pierre Reverchon, emporté dans la guerre de 1914-18.

Les Desbiez, grands pessimistes, se méfient des contingences d’ici-bas. L’éternité leur convient mieux, et ils voient dans l’écriture le moyen de graver la vie, et de faire la nique à l’oubli. Avec le temps, on en revient aux racines, m’avait prévenu Josette Coras. J’étais alors dans un âge où il me plaisait plus de grimper jusqu’au ciel, et tous ces Gerrier, Reverchon et autres Bobilier qui s’agitaient dans un arbre généalogique aux branches tordues de tous côtés, me laissaient de glace.

Il est pourtant si difficile de dire bien ce que l’on sait des morts… écrivait Marie Reverchon-Desbiez. L’histoire d’une famille racontée par les siens ne peut être qu’une histoire magnifiée. Parce que la tendresse pour un père, une grand-mère, étouffe le recul, qui, même s’il est recherché, reste chahuté par les émotions, balloté entre les sentiments. Les pauvres morts ont de grandes douleurs, disait Baudelaire, et il serait bien mal venu d’en rajouter. Aussi l’écriture demeure sous le regard pesant d’ancêtres exigeants, et plus encore sous celui des contemporains, toujours inquiets d’un déballage sordide.

Chaque famille entretient ses mythes, si utiles pour fabriquer sa culture intime, celle qui soudera l’appartenance de ses membres à un groupe. De Pierre-Denis, celui qui inaugura à Bletterans la lignée des docteurs Desbiez, ne reste qu’une légende. Les pierres de la maison familiale bruissaient de ses exploits hypothétiques, et nous l’imaginions caracolant aux côtés de Napoléon, vaillant, aventurier, chirurgien durant la campagne de Russie. Pierre-Denis n’a peut-être pas accompli les exploits dont la tradition le créditait, mais il en demeure auréolé dans l’imaginaire familial, et… il faut croire en l’histoire ancienne.

L’oubli est si puissant… Les trésors supposés du grenier de Bletterans ont disparu, pourris par le temps, évacués par des mains trop empressées à l’ordre et au ménage. Rien ou presque sur Édouard, le fils de Pierre-Denis, si ce n’est sa thèse de médecine et une photo où il apparait sévère, presque triste, aux côtés de sa femme. Et peu de choses de Charles, si taiseux… Heureusement, il restait une malle remplie de cartons poussiéreux, ces emballages de papiers à lettres des années trente, décorés d’un dessin. Là reposaient des photos et des lettres, dépliées avec la mauvaise conscience du voyeur, fouineur et indiscret, appréhendant de trouver là des secrets vénéneux. Petit à petit, j’ai apprivoisé les pattes de mouches de Marie, et vécu avec elle les guerres et les études, les maladies des enfants, l’ennui et les lectures, les tracas quotidiens, l’argent qui manque toujours. On savait bien qu’elle s’ennuyait à Bletterans, mais ses mots amplifient l’émotion, mettent à nu les longs jours qui se suivent, l’exaspération de ne pouvoir sortir à cause de ce satané rhume des foins qui la tient enfermée dès les premiers beaux jours. Elle utilise un passé simple raffiné, si négligé aujourd’hui, et des mots devenus rares : balivernes, logis, diligence, polisson… Adelphe Gerrier, lui aussi, est le maitre des tournures surannées, savoureuses comme de beaux fruits. Au bout du compte, à l’exception d’Adelphe, qui cumule l’art de la médecine et celui de l’écriture, ce ne seront pas ces médecins si attentifs et dévoués à leur clientèle, qui tiendront le haut du pavé dans ce livre. Ce sont ceux qui écrivent qui gagne l’éternité…

Une famille, c’est des photos jaunies qui en racontent parfois beaucoup. Elles parlent du temps qui passe, des rides et de la fatigue, qui brouille l’éclat et dissout dans les regards les rêves de la jeunesse. Avant d’être un grand-père plus vrai que les grands-pères de cinéma, avec sa barbiche et ses lunettes qui brillent, Charles avait l’œil vif et l’air canaille sous un béret posé crânement, Marie est grande, élégante et rieuse. Les années poseront un voile sur leurs visages et dans les yeux de Marie. Il fallait ces photos pour illustrer un livre à l’usage des jeunes générations. Il aurait pu s’intituler Les Desbiez pour les nuls !

Un livre à usage familial, certes, mais à travers leurs doutes et leurs espoirs, leurs préjugés et leurs contradictions, la passion des mots et les convictions de Marie, Adelphe ou Pierre dessinent l’image d’un siècle bouleversé où tous, avec une constance admirable, auront à cœur de maintenir leurs valeurs. Et leurs mots insufflent à l’Histoire froide la chaleur de la vie.

 

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