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Les maisons d'enfance ont des odeurs de mûres et de confitures de coings. Elles sont habitées par des gens que l'on trouve vieux. Il y a des pommes sur le frigidaire et des tissus anciens dans les tiroirs, des bouts de ficelle et des bouchons dans des boites en bois ; dans les boites en fer, ce sont les gâteaux secs et le sucre. Il y a des placards pleins de jouets et des recoins où se cacher, des mystères dans les armoires et des ombres grandiloquentes quand on allume la lumière.

La maison de St Laurent sortait tout droit des contes de fées, avec suffisamment d'élégance dans ses formes pour pouvoir s'y croire princesse. Elle était assez folle pour permettre les imaginations, assez étrange pour apprivoiser l'enfance. Cendrillon trainait vers la cuisinière et Peau d'Ane essayait sa robe couleur de lune devant l'armoire à glace. A la veillée, quand la grande nuit nous enveloppait, on sentait bien que les lutins habitaient là, quelque part au grenier. Ma tante me murmurait des histoires de petits diables agiles comme des flocons de neige, qui envahissaient le monde ensommeillé. Au matin, ils se réfugiaient dans les coins d'ombre que leur ménageaient les meubles biscornus. Je tentais de les apercevoir dans les replis cirés mais ils se terraient, en attendant la nuit propice à leurs sarabandes.

Les soirs d'automne, la maison gémissait sous la bise noire, ce vent du Nord qui souffle trois, six et jusqu'à neuf jours d'affilée, arrache les dernières feuilles et ricane dans les cheminées. Elle se remplissait de froid et l'on se repliait à la cuisine ou au bureau ; le reste sombrait dans l'abandon.

Il y avait un salon d'apparat, où nous n'allions jamais, des chambres avec lavabo et des pièces aux noms surannés : la lingerie, la buanderie... On s'épuisait à mettre de la vie et un peu de chaleur dans ces espaces qui, quoique l'on fasse, dès que l'on tournait le pied, filaient trés vite vers la froideur.

Les journées étaient silencieuses ; nulle radio, encore moins de télévision ne pénétrait ici. Les informations se réduisaient à celles du garde-champêtre qui les proclamait au passage à niveau, après avoir agité sa clochette éraillée. Les michelines passaient, rouges et blanches ; les voitures étaient rares.

Les bruits se réduisaient au mouvement des pendules, aux crépitements du feu et à la rengaine nostalgique d'une très ancienne pendulette à musique. Chromée et vitrée sur deux côtés, elle n'indiquait plus l'heure depuis des lustres mais un mécanisme extrêmement compliquée de roues dentées, pivots et enroulements savants mettait en marche une hélice, laquelle déclenchait la musique. La mélodie était plutôt gaie, tournait mélancolique quand le mécanisme fatiguait. Certaines notes sautaient, remplacées par un sploc morose. Parfois, longtemps après la fin de la partition, une note s'égarait en à-coup dans le silence, vibrait et se diluait. Cet air avait le pouvoir de faire entrer chez nous les neiges de Finlande et les vents de Sibérie, les vols des oies sauvages et les musiques slaves.

Ma tante avait épousé Dieu, civilement mais par amour. Elle s'attachait parfois à m'inculquer quelques notions d'orthographe et de calcul, vite balayées par d'autres occupations moins futiles. Elle pensait que l'essentiel, les sapins me l'apprendraient. Elle m'emmenait partout avec elle, dans ses escapades à l'église ou chez de vieilles amies. Les jours froids, elle m'emballait dans un carton tapissé de journaux, ficelé sur une poussette d'un autre âge ; emmitouflée de fourrures, seule ma tête émergeait comme une poule au marché. Nous partions arpenter le pays en quête d'âmes en peine à réconforter. Elle visitait des dames dont les dentiers clabaudaient dans la pénombre en évoquant la vie, les curés et les temps d'autrefois.

J'entretenais dans le grenier des générations de poupées et des tripotées d'ours en peluche, handicapés de la patte ou d'ailleurs, survivant à des hordes d'enfants tous plus ou moins barbares. La passion de l'adoption nous avait développé un esprit chirurgical et un sens certain de la couture. Les poupées étaient opérées au sparadrap. Pour les ours, c'était plus délicat, ils se vidaient de leur bourre. Il fallait descendre à la cave, inciser la peau, bourrer de sciure et recoudre avec du fil solide, de la couleur qu'on trouvait. Mes malheureux protégés se retrouvaient plus dodus certes, mais tout couturés de cicatrices bigarrées. Ma tante leur tricotait alors d'étranges vêtements apparentés à d'amples vestes pour les ours ; les poupées s'enveloppaient de longues robes fourreaux.

La première neige sonnait l'heure du départ vers des pays plus hospitaliers. Le train de nuit nous emmenait vers la capitale. A l'aube, Paris ressemblait à un champ d'étoiles. Ma tante me disait que les p'tites lumières de Paris ne brillaient que pour moi, et je la croyais.

Plus tard, je ne revenais qu'aux vacances. Le besoin de revoir la maison me jetait dans des trains poussifs, le cœur battant. La micheline n'en finissait pas d'escalader les plateaux. Du passage à niveau, j'apercevais la villa, sérieuse, volets fermés dans le soir rose. Le goudron exhalait une vague chaleur du soleil passé et des odeurs de fleurs. Je prenais la route bordée de grands arbres, traversais la cour où végétaient quelques graviers. Trois marches et j'ouvrais la porte. Le vestibule me jetait au visage une ambiance étrange, tellement abandonnée. C'était rangé et glacial, endormi et inquiètant. Des fantômes humides avaient passé l'hiver là et les murs en gardaient comme un effroi. J'écartais les volets sur le parc aux arbres attentifs. Le cytise pesait de ses lourdes grappes jaunes.

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         Dans quelques jours, les chambres se rempliraient. Il y aurait des provisions dans le frigidaire et des vêtements au porte-manteau, du bruit et de la vie. Pour l'instant, il suffisait de s'asseoir sur les marches du perron et étreindre ce temps d'avant le temps, en retenant son souffle avant le grand cirque des vacances.

Nous faisions des folies, ma tante et moi. On se nourrissait d'œufs de lompe et de chocolat, avec des gâteaux tous les jours. On riait beaucoup, achetait n'importe quoi. Le soir, on courait la campagne jusqu'à ce que la lune nous renvoie à la maison.

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